Quatre-vingt-cinq chanteurs de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, âgés de 12 à 20 ans, s’emparent de la salle Favart, dans une œuvre écrite pour et par eux.
Peut-être n’est-ce qu’un hasard du calendrier, mais il est heureux que ce printemps soit consacré à la jeune génération. Pour cinq dates, les chanteurs, danseurs, acteurs de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique investissent la Salle Favart. On les y avait vus et entendus, certains du moins, dans de récentes productions, Carmen au printemps dernier et L’autre Voyage, cet hiver. Mais Archipel(s), une création qui leur est entièrement destinée, est aussi le fruit de leurs propres réflexions. Plutôt que d’écrire seul, et d’imposer aux artistes en floraison un texte dont ils auraient pu se sentir éloignés, Adrien Borne, journaliste et romancier, auteur de Mémoire de soie (Prix Alain Fournier 2021), à qui la réalisation du livret a été confiée, a choisi l’atelier d’écriture. Ensemble, semaine après semaine, les maîtrisiens et l’écrivain ont avancé dans les mots, se frayant une histoire, celle du passage à l’âge adulte, du façonnement de l’identité, symbolisé par l’octroi d’un prénom. Hélas, point de lilas et de roses dans ce coming of age. On le découvre avec une pointe de chagrin : malgré la reverdie, c’est à une poésie au noir, à un récit parfois sibyllin, d’un onirisme frôlant le cauchemardesque qu’ils ont donné naissance. Impossible de ne pas sentir dans Archipel(s) le poids d’un monde crépusculaire, terrorisant, de ne pas voir les îlots sombres avec lesquels Isabelle Aboulker a dû composer, triturant les comptines enfantines pour en extraire leur lot de dissonances et de tritons démoniaques, en de jolies allusions, cependant, à L’Enfant et les Sortilèges, soulignées par la présence remarquable du piano en fosse. Dirigeant l’orchestre Les frivolités parisiennes, spécialisé dans le genre de l’opéra-comique, Mathieu Romano, qui s’était déjà illustré sur cette scène avec Breaking the Waves, s’empare avec maîtrise de cette musique respectueuse de l’équilibre parler-chanter, jamais déroutante, même pour l’oreille puérile, marquée par d’élégantes percées lumineuses. James Bonas signe quant à lui une mise en scène dont la noirceur reste elle aussi, toujours, habillée d’une clarté dont l’intensité change, incessamment. Il met parfois à nu l’austère ossature du plateau, et la pare à d’autres moments de panneaux sombres à la Soulages, les saupoudrant cependant de blancheur, de candeur, pour culminer dans une très gracieuse scène finale où l’obscurité s’adoucit d’une chaude incandescence. On ne saurait dire exactement à qui s’adresse ce conte contemporain, à la fois innocent et sage, incisif et tendre, pessimiste et pourtant plein d’espoir en l’humanité et le partage. Si ce n’est à tous, de tous âges. On passe un bref mais agréable moment, surtout d’après-midi. La seule représentation tardive étant celle du vendredi 3 mai.
Archipel(s) d’Isabelle Aboulker, direction musicale Mathieu Romano, direction artistique de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, Sarah Koné, mise en scène James Bonas. Opéra Comique, jusqu’au 5 mai